jeudi 8 janvier 2015

Une visite impériale

Hadrian Visiting A Romano British Pottery

Sir Lawrence Alma-Tadema, vous connaissez?

Non, et ce n'est pas une surprise. L'oeuvre immense de ce peintre issu du courant académique, ou plutôt du néoclassicisme victorien, est quelque peu passée de mode. Et pourtant il eut son heure de gloire, ou plutôt ses années. Un des artistes majeures de la seconde moitié du XIXème siècle.
Lawrence Alma-Tadema, de son vrai nom Lourens Alma Tadema, naît en 1836 dans une famille néerlandaise aisée. Très tôt, l'enfant montre de grandes dispositions artistiques qu'il développe en dessinant et peignant, de même qu'un grand sens de la méthode. Ainsi, en 1851, il peint un portrait de sa sœur qu'il numérote Op. [Opus] I, une pratique qu'il gardera tout au long de sa vie, sa dernière toile portant le numéro Op. CCCCVIII...
 En 1852, il intègre l'Académie royale des beaux-arts d'Anvers et devient l'élève de Gustave Wappers puis de Nicaise de Keyser. Tous deux sont proches du mouvement romantique, et de Keyser, en particulier, encourage ses élèves à peindre des sujets historiques. En 1856, il quitte l'académie, devient l'assistant du peintre Hendryk Leys et s'installe chez le peintre et archéologue belge Louis de Taye, au contact duquel il s'intéresse à l'histoire et à l'archéologie. En 1862, il se rend à Londres pendant l'Exposition universelle. Lorsqu'il visite le British Museum, il est très impressionné par la collection d'objets égyptiens et particulièrement par la « frise du Parthénon », ce qui influencera considérablement son œuvre par la suite.
En 1863, il épouse une Française, Marie Pauline Gressin de Boisgirard, et découvre l'Italie lors de leur voyage de noces. Alors qu'il avait prévu d'y étudier l'architecture des églises primitives, il tombe sous le charme des ruines de Pompéi. Il en rapportera une impressionnante collection de photographies qui lui servira de documentation pour ses toiles à venir, représentant pour la plupart des scènes de la vie courante durant l'Antiquité. Plus tard, sa grande habileté à reproduire l'architecture antique lui vaudra le surnom de «peintre du marbre ».
De retour d'Italie, il s'installe à Paris où il rencontre le célèbre marchand d'art belge Ernest Gambart, qui l'encourage dans la voie qu'il a choisie et lui commande une vingtaine de toiles pour sa galerie londonienne. Le succès est immédiat. Puis, craignant une invasion prussienne, il quitte la France, tout comme Monet et Pissarro, et s'installe à Londres en 1870, et en 1873, devient sujet britannique.
Les expositions se succèdent, lui assurant un immense succès, aussi bien en Europe qu'aux États-Unis ou en Australie, pays où de nombreux prix lui sont décernés. On le classe parfois à tort comme tenant du mouvement préraphaélite. Si certaines de ses toiles peuvent le laisser penser, il est bien établi qu'il ne fit jamais partie de ce mouvement, sorte de confrérie fermée (Pre-Raphaelite Brotherhood). En 1876, il devient membre de l'Académie Royale. C'est durant cette période qu'il peint "Hadrian visiting a romano-british pottery".
 En 1899, il est anobli par la reine Victoria.A près une carrière de près de soixante ans, il meurt au spa de Wiesbaden, le 25 juin 1912. Son corps repose dans la cathédrale Saint-Paul de Londres.
Hadrian Visiting A Romano British Pottery, 1884. Huile sur canevas, coupée et retouchée, 159 x 171 cm.
Stedelijk Museum (Amsterdam, Netherlands). Photo © Creative Commons, licence GNU FDL

L'une de ses 408 oeuvres a donc retenu notre attention. Intitulée "Hadrian Visiting A Romano British Pottery", elle illustre une visite de l'empereur dans un atelier romano-britton tel que l'artiste s'est plu à l'imaginer. Cette  composition s'aligne parfaitement dans l'oeuvre générale d'Alma-Tadema, et au romantisme sous-jacent à ce travail suivant parfaitement les canons néoclassiques. Qui s'imaginerait aujourd'hui un empereur romain visitant un atelier de potier? Et pourtant, en cette fin du XIXème siècle anglais, faïences et porcelaines connaissaient une vogue immense, une sorte d'âge d'or, et il ne serait pas du tout apparu incongru  que la Reine de déplace en personne chez un fabriquant ou un négociant pour choisir SON nouveau service à thé! Or chacun voit et comprend l'histoire en la comparant au moeurs de son époque...Au-dela du pittoresque de cette scène, attachons-nous à quelques détails qui sont le sujet principal de ces pages: Les céramiques britto-romaines telles que Sir Lawrence Alma-Tadema les a représentées, notamment sur les deux fragments qui suivent.

The Roman Potters in Britain, 1884
Huile sur canevas, coupée et retouchée, 72 x 119 cm.
Royal Collection, The Hague (La Haye)
Photo © Creative Commons, licence GNU FDL


Ces deux représentations de "potiers britto-romains" sont eux aussi recoupé et retouchés. L'histoire de ces oeuvres est trouble, une part d'inconnu subsiste. Sont-ce trois parties d'une oeuvre monumentale qui pour une raison ou pour une autre ont été découpées, remontées par l'artiste sur des châssis puis partiellement retouchées? Ce n'est pas impossible.
Le moins que l'on puisse dire, c'est que le séjour de Sir Lawrence chez Louis de Taye a laissé des traces et lui a permis d'exercer son regard, et, compte tenu des connaissances de son époque, de parfaitement placer  un objet dans son contexte historique. En l'occurence,  la visite de l'empereur Hadrien en Bretagne insulaire, une "inspection" pourrait-on même dire, qui se déroule en 122 de notre ère. Compte tenu des connaissance de l'époque, ces céramiques choisies pour meubler cette boutique de potier sont relativement correctes. Tout au plus une partie d'entre-elles sont un peu tardives pour l'époque, nous les datons aujourd'hui de la seconde moitié du IIème siècle.
Nous nous trouvons bien dans un atelier de potiers, la toile représentée ci-dessous le montre bien par les tourneurs travaillant en arrière-plan. Or, détail intéressant, certaines de pièces que l'on distingue à peine derrière l'empereur sur la toile principale proviennent d'ateliers gaulois ou rhénans, ce que Sir Lawrence Alma-Tadema, ne pouvait probablement pas savoir. En cette fin de XIXème siècle, l'archéologie consistait le plus souvent à déterrer des objets pour les classer dans des vitrines ou pour constituer des cabinets de curiosités commentés par les historiens de l'art. Le fait que certaines de ces céramiques aient été découvertes en contexte de production ou au contraire de consommation peut fort bien être passé inaperçu, et en plus les courants commerciaux et donc les éventuelles importations étaient mal connus.  L'archéologie contextuelle, permettant de bien mieux dater objets et ensemble par comparaison avec leur environnement ne s'est développée que bien plus tard.
The Roman Potter, fragment of ‘Hadrian Visiting a Romano-British Potter’, 1884
Huile sur canevas, fragment coupé et retouché,152 x 80 cm.  Musee d’Orsay, Paris, France
Photo © Creative Commons, licence GNU FDL
Le choix des poteries représentés est donc pour le moins confondant, dénotant une grande maîtrise des contextes historiques et culturels. Toutes ne sont pas identifiables car certaines d'entre-elles dorment dans les réserves des musées et ne figurent pas dans le publications modernes, et d'autres sont difficiles à distinguer dasn l'ambiance n peu sombre des arrières-plans. Toutefois celles illustrées sur le plateau transporté par le potier ci-dessus sont connues.
la première à partir de la gauche est aisément reconnaissable. Il s'agit probablement d'une production de la Nene Valley, qui est ou a été exposée au British Museum ou encore au Museum of London. Malheureusement cette référence a disparu est n'est pour le moment plus accessible. Il s'agit toutefois assurément d'une production britannique, son style ne permet pas de confusion. Comme toutes les pièces qui suivront le décor n'est pas moulé, mais réalisé à main levée à la barbotine.











A son côté, un grand gobelet dont le style est apparenté aux productions de Colchester, et exposé au Colchester Castle Museum. Il faut bien préciser "apparenté". Car si de tels gobelets ont assurément vu le jour dans ces ateliers de l'ancienne Camulodunum, ils sont parfois très proches par leurs formes et leurs décors aux productions de Cologne, également importées dans les îles britanniques. La couleur de la pâte et de l'engobe, ainsi que leurs textures permettent souvent de les différencier. Or cette photo d'amateur prise eu travers d'un verre de protection ne permet pas une identification certaine. cette production débute vers les années 100 à 120 de notre ère.




Les deux exemplaires à gauche et ci-dessous, faciles à reconnaître sur le plateau que porte le potier proviennent d'ateliers du centre de la Gaule, probablement Lezoux et sa région. Fréquemment importés dans les Îles britanniques, il n'est pas étonnant qu'elles figurent dans cet assortiment.



Un gobelet à décor de rinceaux végétaux. Musée de la Céramique, à Lezoux. Seconde moitié du IIème siècle. (Photo de l'auteur)

















Un gobelet, également de Lezoux, comportant des animaux (chiens en lièvres) entre les mêmes types de rinceaux végétaux. Musée de Bavay. Seconde moitié du IIème siècle

Photo © Musée de Bavay






Autre pièce majeure des ateliers de Colchester figurant sur la toile principale,devant le bras droit de l'Empereur:
Cet extrardinaire gobelet montre un décor de courses de chars, probablement réalisé partiellement par des motifs d'applique moulés, puis rehaussés à la barbotine, c'est un fleuron des ateliers insulaires du IIème siècle. D'autres gobelets de ce même type sont connus, montrant notamment des combats de gladiateurs ou d'hommes contre des bêtes. Il est possible qu'au moins l'un d'entre eux soit représenté sur la rambarde de l'escalier au bas de la toile principale, les détails ne sont pas suffisamment visibles même sur les meilleurs prises de vue. Par leur forme, ces pièces sont apparentés aux productions de Cologne de la première moitié du IIème siècle. Le contexte de leur découverte n'étant pas connu, il es difficile d'en dire plus.




Gobelet à "décor de cirque".  Ateliers de Colchester, IIème siècle. British Museum.



En représentant ainsi l'aspect sombre et envoûtant de ces céramiques du service à boire du IIème siècle, l'auteur a pu ajouter une petite note dramatique à une scène somme toute paraissant bien commune. C'est ce qui fait le charme de ces peintures au style paraissant aujourd'hui un peu désuet. Et pour conclure, Sir Lawrence Alma-Tadema ayant été surnommé "Le Peintre des Marbres", nous ne résistons pas à vous présenter "Sculptors in Ancient Rome", une oeuvre datant de 1877.


Sources: 




Je suis Charlie