vendredi 27 septembre 2013

Gobelets à panse cannelée de Suisse occidentale


LE GOBELET A PANSE CANNELEE,
UN GOBELET GALLO-ROMAND?

Assez fréquemment découvert en fouilles aussi bien en zones rurales qu’urbanisées, le gobelet cannelé de type « Niederbieber 32 » semble être une spécificité de Suisse occidentale, voire de Suisse Romande. Qu’en est-il vraiment ? 

Un exemplaire typique découvert à Yverdon
 (Fouilles Parc Piguet, 2006, non publié)
On ne connaît pas vraiment de précurseur à ce type de récipient. Si la forme ovoïde est connue depuis longtemps, et notamment par les abondantes productions des ateliers lyonnais dès le début du premier siècle de notre ère, sa forme est toujours lisse, portant souvent un décor guilloché ou sablé, mais jamais cannelée. Il existe bien un type de gobelet multiconvexe dans le répertoire de la céramique de Gaule Belgique (dont la Cité des Helvètes fit partie jusque vers 90 de notre ère), mais sa forme générale est trop éloignée et de plus cette production cesse totalement dès le troisième quart du Ier siècle de notre ère. On ne peut donc pas raisonnablement y voir l’origine de nos gobelets cannelés.
Cette forme de récipient semble donc apparaître sans précurseur en Suisse occidentale dans le courant de la seconde moitié du IIème siècle de notre ère, simultanément à l’apparition de toute la gamme de la vaisselle à vernis argileux issue de nos ateliers régionaux. Toutefois, si cette forme est assurément abondante à Lousonna (Lüginbühl 1999, Vidy 2013), et peut-être à Genève (Paunier, 1981), attestée et assez fréquente à Yverdon (fouilles parc Piguet 2006-2009, Steiner, Menna, 2004) et Nyon (Paunier, 1981), sa présence est plus discrète à Avenches (Kaenel 1974, Castella-Meylan 1994, Bosse, 2004) ainsi qu’à Berne.



Les sites de production :

Plusieurs sites de production sont attestés : 

Lousonna : Deux ateliers ont fourni des rebuts de production de ce type : L’atelier « du secteur 23 » situé dans l’avant-dernier ilot sud-ouest du vicus a fourni de nombreux ratés très fragmentés, dont de nombreux gobelets ovoïdes, certains cannelés. A La rue de Chavannes 29, à la périphérie Est du Vicus, deux fours ont été découverts en 1984 et là aussi dans leur mobilier de comblement des gobelets se rapportant certainement à la production de l’atelier ont été identifiés. Les styles cannelés y sont aussi présents. 
Les gobelets des sites de production identifiés dans le vicus de Lousonna: A gauche un exemplaire de l'atelier dit "du secteur 23", et à droite un autre de l'atelier de la Rue de Chavannes 29. (Lüginbühl, 1999)
Trois bords de gobelets issus des fouilles universitaires 2013 à Lousonna. Le premier bandeau, plutôt étroit, correspond bien aux dessins des exemplaires issus des ateliers tout proches, dans l'îlot 23 ou à la Rue de Chavannes 29. (Photo P.-A. Capt)
 La datation de ces gobelets cannelés lausannois peut se fixer par analogie avec les autres formes produites, soit entre la fin du IIème et le début du IIIème siècle de notre ère.

Avenches, Défini comme assez rare (Castella, Meylan-Krause, 1994) à Avenches et dans sa région, une production a toutefois été attestée lors de la fouille en 2003 du dépôt de ratés de cuisson de la propriété Seynave. Les gobelets ovoïdes à panse cannelée n’y sont toutefois représentés que par 2 individus (0,09% de la production), alors que la forme lisse en compte 465 (21,31%) sur un total de 554 gobelets comptés, représentant le quart de la production de céramiques à revêtement argileux de cet ensemble.(Bosse, 2004). 

Les gobelets cannelés d'Avenches: A gauche, le Type 49.1 selon la typologie Castella / Meylan-Krause (BPA 1994). Cette forme est considérée comme « assez rare ». A droite, les deux exemplaires AV 49.1 de la propriété Seynave (Bosse, 2004)
Cet ensemble de la propriété Seynave est toutefois assez peu représentatif en ce qui concerne ces gobelets cannelés. Sa datation est assez tardive, vers 250, et il est possible que la production de cette forme ait été en déclin à ce moment-là.
Par ailleurs, les ateliers ayant produit de la céramique à revêtement argileux à Aventicum entre la fin du IIème et au début du IIIème siècles n’ont pas été découverts à ce jour. Cette classe de céramiques ayant été produite en abondance à dans cette ville, il est assez probable que les données seraient modifiées en cas de nouvelle découverte.

Bern-Engehalbinsel :
Diverses fouilles, notamment vers les années 1900, puis 1930-1949 ont mis à jour plusieurs fours de potiers sur la presqu’île de l’Engehalbinsel, et exhumé de nombreux ratés de cuisson dont bon nombre de pièces qui ont pu être recollées.
Malheureusement, malgré le grand intérêt de cette production, le résultat de ces fouilles n’a jamais été sérieusement étudié, et à ce jour aucune publication n’a été réalisée. Quelques gobelets cannelés y sont présents, du même type que ceux de Lausanne et Avenches. D’autres exemplaires ont été retrouvés en contexte de consommation dans le vicus de Brenodurum qui occupait une bonne partie de la presqu’île.

Un exemplaire à trois bandeaux, apparemment
Découvert en contexte de consommation dans le vicus
(Bernischer Historisches Museum, réserves,
Photo P.-A. Capt)

Un exemplaire à quatre bandeaux, apparemment
Découvert en contexte de consommation dans le vicus
(Bernischer Historisches Museum, réserves,
Photo P.-A. Capt)
 
On remarque avec un certain étonnement la présence simultanée d'exemplaires à trois et à quatre bandeaux. Comme pour les autres productions, L'alternance des bandes lisses et guillochées ne semble pas répondre à une règle déterminée. Si l'alternance de bandes lisses et guilochées est systématique, le bandeau supérieur peut êttre soit lissse, soit guilloché, que le gobelet soit à trois ou quatre bandeaux. Chercher à déterminer une origine par l'observation de cet agencement semple pour le moins hasardeux.
En ce qui concerne la datation de ces céramiques bernoises, on doit donc par analogie avec les autres productions de mêmes types l’estimer vers la fin du IIème et la première moitié du IIIème siècle. Toutefois, il se pourrait que cette production se soit poursuivie jusqu'à la fin de l'activité des ateliers, vers les années 270-280, datation absolue des dernières productions repérées en sites de consommation, sur la villa rustica de Worb notamment.

Thonon :
Plus surprenante est sa production aux ateliers de Thonon. Actuellement en cours d’étude, mais non publiée, cette production, dont 5 tonnes au moins de ratés de cuisson a été récupérée en 1974 et des centaines de pièces remontées, montre un répertoire de style relativement différent des ateliers helvètes. Mais on retrouve à nouveau le gobelet cannelé, parfaitement identiques aux productions lausannoise et bernoise.
Gobelets cannelés issus des fosses de ratés de cuisson de Thonon. la ressemblance avec les exemplaires issus des fouilles en Suisse occidentale est confondante...(photo P.-A. Capt)

Un autre exemplaire, déformé et fissuré à la cuisson
(remontage et photo L. Berman)
Les sites de consommation :

Il est difficile de dresser une liste exhaustive des sites sur lesquels ce type de gobelet cannelé a été identifié. Nombreux sont les ensembles issus de fouilles récentes encore non publiés, et nombreux également sont les fouilles qui n’ont fait l’objet que d’un rapport sommaire.
Panses de gobelets "Lausannois" ? Découverts à Lousonna assurément, de plus à quelques dizaines ou centaines de mètre de deux ateliers de production attestés. Mais l'analogie avec des exemplaires de Thonon est tellement frappante que seule une analyse des argiles permettrait de certifier leur origine.
Ce type de gobelet est bien sûr clairement identifié sur certains sites de consommation liés aux ateliers qui ont produit ce type de récipients. Le cas le plus spectaculaire se trouve à Lausanne, où des fouilles tout récemment conduites dans la partie Ouest du vicus ont permis de retrouver un dépôt de plusieurs dizaines d’exemplaires brisés. Il se trouve qu’il est absolument impossible de recoller les tessons par leur éventuelle proximité dans ce dépôt. Les fragments issus de mêmes individus étant complètement dispersés indiquent clairement que ces gobelets étaient brisés avant leur abandon dans ce qui a pu être une arrière-cour. Il ne s’agit donc assurément pas de ratés de cuisson, mais plutôt de la résultante d’un effondrement d’étagère ou alors des stigmates d’une scène de hooliganisme d’auberge…. Ce ensemble sera pour le moins intéressant à comparer avec les ratés de cuisson issus des ateliers de l’îlot 23 et de la Rue de Chavannes 29, tout proches géographiquement. 

Berne et Avenches ont également livré plusieurs exemplaires dispersés dans les habitations de ces localités. Un de ces exemplaires découvert lors des fouilles du site « en Selley » à Avenches se situant dans une couche datée de la seconde moitié du IIIème siècle nous conforte dans l’idée de la poursuite de cette production jusqu’à une époque assez tardive.
Le cas de la diffusion des productions de Thonon est un peu particulier. Cet ensemble n’ayant à ce jour jamais été publié, les références font totalement défaut. Nos avons pu toutefois localiser de visu quelques productions de formes autres de cet atelier à Martigny, Massongex, Lausanne et Nyon. Que les gobelets cannelés y aient été également diffusés est donc possible.
Quant à Yverdon, l’étude des résultats de la fouille du « Parc Piguet » n’étant pas encore aboutie, il n’est pas possible de préciser la datation du ou des exemplaires découverts, pas plus que leur origine.

Un gobelet gallo-romand ?
Déterminer l’origine de ces gobelets lorsqu’ils sont découverts en site de consommation est un vrai casse-tête tant ils se ressemblent. Seule l’analyse physico-chimique comparative des pâtes et des revêtements autoriserait des certitudes.
Si sa production à Berne n’étonne pas tant les répertoires de formes de cet atelier sont proches des productions avenchoises, sa présence à Thonon surprend plus pour un type régional. Le vicus antique faisait partie de la Cité des Allobroges, province de Narbonnaise. Et il est plutôt rare que la production d’une forme régionale chevauche la frontière de deux provinces romaines, limite pas toujours très perméable au commerce local. De plus, la typologie générale de cette production ne ressemble pas à celle des ateliers helvètes et montre un faciès culturel différent.
Gallo-romain assurément donc, mais pas typiquement romand, ce type de gobelet est plutôt une spécialité régionale « transfrontalière ». Sa commercialisation en Germanie Supérieure à laquelle est rattachée la Cité des Helvètes n’est d'ailleurs pas un cas particulier, puisque d’’autres productions de Thonon ont été diffusées dans le Valais, qui appartenait à la province des Alpes Graies et Pennines. Il pourrait peut-être s'agir d'un petit succès commercial régional, une sorte de nouveau "marché de niche" dans lequel tous les ateliers locaux ont cherché à s'engager...

Bibliographie :

BOSSE Sandrine : Un dépotoir de céramiques du IIème siècle à Aventicum. Bulletin de l’association Pro Aventico, 2004. Avenches 2004.
CASTELLA Daniel, MEYLAN-KRAUSE Marie-France : La céramique gallo-romaine d’Avenches et de sa région, esquisse d’une typologie. Bulletin de l’association Pro Aventico 1994, Avenches, 1994.
LUGINGBUHL Thierry. Les ateliers de potiers gallo-romains en Suisse occidentale : Nyon, Lausanne et Yverdon. In SFECAG 1999, Actes du Congrès de Fribourg, pp. 109-124.
KAENEL Gilbert: Aventicum I, Céramiques gallo-romaines décorées, productions locales des IIe et IIIe siècles. Cahiers d'Archéologie Romande No 1. Avenches et Lausanne 1974.
PAUNIER Daniel: La céramique Gallo-romaine de Genève. Société d'histoire et d'archéologie de Genève, T. 9, Genève, 1981
STEINER L. ET MENNA F. : La Nécropole du Pré-de la Cure à Yverdon. Cahiers d’Archéologie Romande No. 75. Lausanne, 2000.


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