lundi 10 décembre 2012

La mort est dans le pré





Le titre pourrait être celui d'un nouvelle de Hitchcock ou de Lovecraft. Ou celui de quelque reportage sur les pesticides qui enpoisonnent nos champs et nos vies. Il n'en est rien, mais ce n'est pas très joyeux pour autant.
C'est d'une exposition temporaire au Musée Romain de Lausanne-Vidy qu'il s'agit.
Et pas n'importe quelle exposition, car il s'agit là de montrer les premiers résultats de sondages exploratoires sur ce qui est probablement une des découvertes les plus intéressantes de l'archéologie lausannoise de toutes ces dernières années.
Sous les courgettes et les côtes de bettes, à peine sous les fondations de cabanons des jardins familiaux lausannois et leurs nains de jardins, une multitude de tombes gallo-romaines était là, oubliées depuis des siècles. 5 ou 6000 tombes, peut-être plus encore. Un véritable trésor qui sera fouillé au fil de ces prochaines années, précédant la construction du futur écoquartier qui a conduit à leur découverte.


L'exposition est conçue comme l'itinéraire d'une sépulture. On est en 127 ap. J.-C. Un habitant de Lousonna vient de décéder. Sa dépouille, avec des fleurs et quelques offrandes, repose sur le bûcher dressé par ses proches...

Le lendemain, ils recueillent dans la cendre refroidie des restes d’ossements calcinés, qu'ils lavent et déposent dans un pot. Une écuelle à l'envers fait office de couvercle. Ils enfouissent l'urne, ajoutent un peu de nourriture et de boisson pour le voyage vers l’autre monde, comblent la fosse avec les déchets de la crémation, marquent la tombe par un petit tertre et une pierre...
...Et le tout tombe dans l'oubli et repose ainsi près de 19 siècles, jusqu'au moment où un plan d'urbanisation amène à sa redécouverte.
Des obsèques d'alors à la vitrine de musée d'aujourd’hui, l'exposition "La mort est dans le pré retrace" le destin posthume des gens de Lousonna. Elle évoque les rites et les croyances funéraires gallo-romaines, montre aussi comment un projet d’aménagement moderne aboutit à enrichir le patrimoine historique, à travers la fouille, la restauration et l'étude de vestiges spectaculaires. Plus que l'exposition de vestige issus des fouilles des premières tombes, elle montre surtout au travers de cet itinéraire le travail d'exhumation, de nettoyage, d'étude, de reconstitution, du pré jusqu'à la vitrine du Musée.
Une urne cinéraire en cours de fouille. les ossements du défunt sont placées dans une une bouteille de verre qui est placée dans l'urne avec les vestiges d'offrandes. Photo © Archeodunum SA, Gollion 
Quelques urnes retrouvées intactes, Ce sont en fait de gros pots de stockage recyclés en urnes cinéraires. Photo © Musée Romain de Vidy
Monter une telle exposition nécessite de montrer plusieurs fois la même tombe évoluant dans le temps. On fait alors appel au potier pour refaire les urnes et la vaisselle d'accompagnement. 6 urnes attendent sagement le jour de leur cuisson...
Hormis l'écuelle qui sert de couvercle à l'urne, l'usage voulait qu'on dépose un peu de nourriture et de boisson auprès des restes du défunt. Ici une série de gobelets issus de sépultures tardives à inhumation.
Gros plan sur une figurine de lapin. de menus objets étaient aussi souvent déposés comme offrandes
Photo © Musée Romain de Vidy

Au fil des prochaines années, la fouille complète de la nécropole des Prés-de-Vidy va donc apporter énormément d'éléments nouveaux à la connaissance de l'agglomération et de la population antiques. D'innombrables objets, souvent intacts, vont enrichir les collections publiques. Et les restes humains de l’époque romaine vont être recueillis, étudiés et conservés.

 Musée Romain de Vidy, 13 novembre 2012 au 14 avril 2013

Exposition réalisée avec l’appui du Musée cantonal d’archéologie et d’histoire (laboratoire de conservation-restauration), d’Archeodunum S.A. (fouille et étude), de l’archéologie cantonale et de la direction de projet Métamorphose, Ville de Lausanne.

mardi 16 octobre 2012

Potiers et tourneurs des temps heroïques: Le tour à bâton.

Il y a un certain temps déjà, j'avais abordé le sujet dans l'article "Potiers et tourneurs des temps héroïques: L'Antiquité". Cet article étant le plus lu de ce blog, et continuant à susciter une grande curiosité, le temps est venu de développer quelque peu le sujet.
Ce n'est pas une mince affaire, les documents sont rares et souvent difficiles à dénicher. Les dater pose souvent un problème, la source étant mal mentionnée, voire pas du tout. Il faut parfois être patient, obstiné, même. C'est essentiel lorsqu'on veut assurer ses sources. Après, il faut gérer leur discontinuité, c'est autre chose...

L'histoire du tour à bâton se confond avec celle du tour à main. On se souvient de ces images, reprises de peintures sur des vases grecs à figures noires des VIIème au VIème siècles avant notre ère: Cette représentation est très précise. La manière dont est construite la roue de ce potier est tout à fait conforme aux roues pleines qui équipaient les chariots de cette époque. Un moyeu rallongé permettait de minimiser le jeu latéral consécutif à une usure trop rapide. On s'est servi de cette rallonge pour stabiliser latéralement la roue afin qu'elle n'oscille pas trop au lancement ou en rotation, ce qui serait préjudiciable au tournage de vases bien ronds. Ici le potier est aidé d'un assistant, mais il pourrait très bien lancer sa roue lui même à la main.
Quand commence-t-on à lancer sa roue à l'aide d'un bâton? On ne le sait pas vraiment. Des bruits courent dans les milieux de l'archéologie classique quant à la découverte d'une représentation d'un tour à bâton d'époque grecque. Mais ce ne sont que des rumeurs. Tant qu'il n'y a pas eu de publication formelle, on n'en saura pas plus...
Les premières représentations assurées datent de l'époque romaine. Ce sont des peintures murales de Pompei, mal connues elles aussi, très dégradées aujourd'hui, peut-être même perdues. Je les avais déjà présentées dans l'article précédent.
Celle ci-contre, dont j'ignore l'emplacement dans la ville antique, est tellement dégradée qu'il a fallu la redessiner au trait pour pouvoir y distinguer la scène: Un atelier équipé de quatre postes de tournage au moins, ainsi qu'une cliente venue acheter des cruches. On distingue bien les bâtons de lancement posés à côté (ou contre?) les roues. la posture de travail des tourneurs est toutefois assez peu vraisemblable. mais rappelons-nous que le peintre n'était pas potier lui.même, et qu'il a peut être traité cette scène de mémoire, d'après une disposition vue dans d'autres ateliers.
La seconde représentation, je l'avais présentée en noir-blanc, c'était la seule vue que j'en avais. Heureusement, entre-temps, après de longues recherches, j'ai finalement mis la main sur une vue en couleurs:
Pompei, Regio II, Insula III, entrée 9
SAP 21631, ww.pompeiinpictures.com
On y voit la scène complète: Un tourneur à son travail, sa roue étant très basse, peut-être installée dans une légère excavation. Le grand personnage a été interprété comme une allégorie de Vulcain. Ce potier travaille sur de petites pièces, peut-être des balsamaires ou des gobelets, dont on distingue quelques exemplaires à sa gauche. La roue semble cerclée et munie de rayons.
J'ai tenté ici de reproduire le plus fidèlement possible la scène de cette fresque. Il a fallu toutefois m'avancer quelque peu auprès de la roue, la position du tourneur de Pompei, bras presque tendus et le haut du corps très incliné n'est pas tenable. Pour respecter l'élévation des bras au-dessus de la roue, je travaille "à la motte" comme on le dit dans notre jargon. C'est à dire que pour tourner une série de gobelets, on place une grosse masse d'argile sur le tour, puis on la centre en cône et on tourne les pièces les unes après les autres en recentrant seulement l'extrémité de la motte si nécessaire. C'est rapide et économique en opérations de centrage et relances du tour. C'est une méthode traditionnelle très connue et encore beaucoup pratiquée en Asie du Sud.
Cette image est donc la plus précise que nous ayons actuellement sur le travail des potiers antiques. Curieusement elle est introuvable, presque totalement inconnue et absente de toutes les publications spécialisées.
Toutefois, à la posture de travail précédemment décrite, je préfère nettement la posture en tailleur ou en demi-lotus. Elle permet de redresser le dos et maintient la colonne lombaire dans une bien meilleure position. Historiquement aussi elle est peut-être plus correcte en ce qui concerne le travail des potiers gaulois ou gallo-romains. De toute la statuaire gauloise que l'on connaît, et il n'y a aucune exception, les personnages sont toujours assis dans la posture du tailleur, du demi-lotus ou du lotus. Et les récits des voyageurs grecs et romaine précisent aussi que le Gaulois ne se servent jamais de sièges, étant toujours assis à même le sol.
Or, les fouilles ont montré que les tours étaient la plupart du temps aménagés dans des fosses, une simple planche située au bord de celle-ci permettrait au tourneur de s'assoir au niveau du sol. Cela lui permet entre autres de déposer ses pièces tournées directement sur le sol, sans avoir à disposer bancs et tables à portée de main...
Mais pour les démonstrations, c'est tout de même plus simple de s'installer avec socle et petit banc, plutôt que de creuser à chaque fois une fosse...

Et après l'époque romaine?

La dernière représentation d'un potier "romain" au travail date du IVème siècle de notre ère. Après cette époque, c'est le grand vide, près de 1000 ans sans aucune image à se mettre sous la dent.
Il faut attendre la fin du XIIIème siècle, peut-être le XIVème pour retouver une représentation de potier.
Par ces deux "miniatures parisiennes" non datées et de source inconnue, nous voyons à nouveau des potiers travailler au tour à bâton.
Les deux vues sont traitées de la même manière, on y voit le potier lançant sa roue et simultanément travaillant sur un vase. Cela peut sembler aberrant, mais il ne s'agit là que des conventions graphiques en usage à l'époque. On veut montrer deux gestes à la fois sur une seule vue.




























Même convention graphique pour de mêmes gestes. Les costumes et la coiffure des personnages représentés semblent indiquer la fin du XIIIème ou le tout début du XIVème siècle.
Les instzallations sont identiques sur les deux vues, une simple roue à rayons posée sur un pivot.



Plus précises sont les vues suivantes:
Boccace, Des Cas des Nobles Hommes, folio 158. Paris, BNF., MS FR 235, 1ère moitié du XVème s.


Très intéressante et très réaliste, cette vue montre un potier en train de tourner sur une roue à rayons, toujours sans châssis. la posture de travail est très proche de celle du potier de Pompei, ce qui montre clairement une saisissante permanence des techniques de tournage.
Et ci-dessous, une autre vie d'une opération de tournage sur une roue "libre".  On notera toutefois que le potier utilise deux petits repose-pieds

La Haye, MMW, 10 A 11, Fol 232 verso, Saint-Augustin, la Cité de Dieu, vers 1478-1480
Et ensuite, deux enluminures, probablement oeuvre d'un même illustrateur sur une Bible historiée déposée à la Biliothèque Municipale de Lyon. On les trouve facilement dans les vastes collections numérisées de cet établissement.
L'illustrateur, très observateur, a parfaitement décrit les deux gestes essentiels du potier. Lancer sa roue au bâton, puis une fois ce dernier déposé, tourner son vase à deux mains.

Lyon, BM, Rés Inc 58, folio 29, Bible historiée (imprimée chez Antoine Vérard), vers 1495

Lyon, BM, Rés Inc 58, folio 92, Bible historiée (imprimée chez Antoine Vérard), vers 1495
 Enfin, pour clore cette série, une enluminure un peu plus tardive, vers 1500, montre à nouveau un tour sans châssis. les deux systèmes devaient coexister, mais au final la fonction reste la même. Une roue, servant de volant d'inertie, que l'on lance à l'aide d'un bâton. Comme à l'époque romaine. 
Chants royaux sur la conception, France (Paris), 1500
 En définitive, que la roue soit pleine, ou à rayons, qu'elle soit munie de trous ou d'encoches, qu'elle soit montée sur un châssis ou non, cela n'y change pas grand chose. Ce sont probablement les nécessités du lieu, la taille des pièces à tourner, la possibilité ou non d'aménager une fosse de tournage qui dicteront les détails de l'installation. 
Et ci dessous, une restitution de ce genre d'installations. Comme sur  la Bible d'Antoine Vérard, on lance la roue au bâton...

Un tour à bâton constitué d'une roue à rayons (une roue de char) monté sur châssis    

 Puis une fois ce dernier déposé,  les deux mains sont libres pour le tournage...

Bien qu'il paraisse archaïque, ce système de tournage est très performant et a été fréquemment utilisé en France jusqu'en plein XXème siècle. Comme ce potier à La Borne, vers 1930. Son tour est installé dans une fosse. C'est une roue métallique à rayons, elle se lance toujours au moyen d'un bâton...
Ce n'est que la généralisation des tours mus par des moteurs électrique qui signera l'arrêt de mort de ce genre d'installations dans le monde occidental. Et bientôt en Asie du Sud aussi...

Et le tour à volant d'inertie lancé au pied dans tout ça? 
Il n'apparaît pas avant la Renaissance, apparemment. Mais ce sera un sujet pour un prochain article, ô fidèle lecteur...

lundi 8 octobre 2012

Fabriquer un dolium tourné

Et à nouveau un peu de technique...

A nouveau un dolium donc, mais basé sur une technique de fabrication assez différente. Il sera cette fois essentiellement tourné, bien que le montage de base se fasse toujours au colombin.

Fabriquer de grandes pièces requiert une solide technique. Et en ce qui consiste du tournage, il n'y a pas de miracle. Certaines hauteurs sont parfois impossibles à tourner en une seule fois, tout comme les amphores. Il faut donc ruser. Soit on procède par empilement d'éléments, ce qui tient parfois de la gymnastique et de l'équilibrisme, soit on pose des colombins plus ou moins gros que l'on amincit et monte ensuite  par tournage.
Montage d'un gros saloir en plusieurs éléments. Noron-la-Poterie (Basse Normandie) vers 1900. Comme beaucoup de potiers de sa génération, cet homme travaille toujours au tour à bâton...
Monter de telles pièces en deux ou trois éléments demande un équipement particulier, cercles de maintien et corbeillons afin de ne pas trop déformer les ébauches lors de la saisie puis de l'assemblage. Le tour doit aussi être adapté à la taille des pièces....

Mais si on souhaite éviter ce genre de manipulations, le tournage de colombins peut parfaitement faire l'affaire. Ce potier japonais de l'île de Shikoku, vers les années 1950 démarre une jarre à fermenter le saké. Il monte des colombins gros comme le bras, qu'il tournera ensuite. Chaque colombin lui permet de rajouter au moins 20 cm. de hauteur à sa pièce en construction.
Il faut toutefois être prudent lors d'un tel travail. Après chaque colombin, on laissera la jarre reposer et sécher pendant quelques heures. Ainsi elle ne risquera pas de s'effondrer sous son propre poids.
A l'arrière de l'atelier, on voir d'autres jarres en cours de montage. Si le temps est très sec, on peut si nécessaire régulariser la vitesse se séchage en entourant certaines parties de vases par des "paillassons", sortes de nattes de roseaux, de joncs ou de paille.
Ce potier utilise pour son travail une petite tournette à barillet toute simple. Si au début, l'inertie est faible, au fur et à mesure du montage cette dernière augmentera et facilitera la rotation de l'installation. Plus la pièce est lourde et plus elle devient facile à travailler...Enfin, presque. quelques échafaudages et une petite aide sont parfois nécessaires...
 C'est une méthode de travail presque aussi ancienne que l'invention du tour à main, et bien des grandes jarres antiques sont montées de cette manière, spécialement dans le monde méditerranéen.

Et c'est ainsi que je monte ce dolium d'une hauteur de 65 cm. environ pour une capacité approximative de 50 litres, sur un petit tour à main. 
C'est en plein hiver, et comme le chauffage de mon atelier est assez aléatoire, je préfère travailler dans ma pièce à vivre et profiter de la bonne chaleur de mon poële à bois. En plus c'est une technique peu salissante, les opérations de tournage se réalisent en humectant légèrement les parois. On ne risque donc pas de projections sur les tapis. Ici, pose d'un colombin. la pièce étant très fine pour sa taille, environ 5 mm. d'épaisseur, je préfère travailler avec des colombins de taille plutôt réduite, 4 à 5 cm. de diamètre. Il suffisent pour monter 10 à 12 cm. de paroi et ne chargent pas trop l'édifice. 
Une fois le colombin posé et aminci par pincement, il est frappé à la batte, ce qui régularise l'extérieur de la paroi et parfait le collage. 
 L'intérieur est ensuite lissé à l'estèque afin d'éliminer les aspérités les plus importantes...
Puis la partie fraîchement montée est amincie et montée par tournage. Lorsque la pièce est ainsi ouverte, elle est très instable et il faut procéder en plusieurs passes afin d'atteindre l'épaisseur voulue.
Finalement on lisse les surfaces à l'estèque, puis on laisse sécher un peu, et on recommence avec le colombin suivant. Dés que le diamètre maximal est passé, la géométrie de la jarre contribue à sa stabilisation, et les risques de déformation ou de désastre lors du tournage deviennent moindres. Une pièce de forme fermée est ainsi toujours plus stable qu'une forme ouverte.
Il faut veiller, surtout lors des ruptures de courbes, à travailler le plus régulièrement possible afin de faciliter la mise en forme par tournage. Si nécessaire, je n'hésite pas à couper les irrégularités au fil afin de poser un nouveau colombin sur une tranche bien régulière.
En atteignant la limite de l'épaule, je préfère tourner essentiellement à l'estèque, outil qui facilite aussi le rétrécissement du diamètre...
Encore un colombin et le col est atteint. ä cet endroit, il est absolument indispensable de sectionner au fil toutes les irrégularités afin de repartir sur une section parfaitement plane. En posant un colombin bien régulier, on se simplifie énormément la tâche. Tourner une lèvre bien régulière sur ce type de pièce n'est pas évident, alors autant se faciliter la tâche...
Le colombin est posé. on va d'abord le battre et le régulariser à la spatule. Dés lors le tournage final ne posera pas trop de problèmes...
Un dernier lissage après le temps de séchage réglementaire et c'est terminé: 
 65 cm. de haut, un peu plus de 50 de diamètre pour un peu moins de 10 kg de terre. ça a l'air facile, mais il faut savoir être patient avec ce genre d'animal. ne pas respecter les temps de séchage intermédiaires, c'est courir à la catastrophe. C'est pourquoi dans les poteries traditionnelles les tourneurs avaient toujours plusieurs pièces en cours. ce nombre dépendait de leur taille bien sûr, mais aussi de la météo. Si l'air est très humide, elles prendront plus de temps à sécher, sont on travaille tour à tour sur un plus grand nombre de pièces. Et si le temps suite à une saute d'humeur s'assèche brutalement, on sort les tissus humides ou les paillassons...

Après, il ne reste plus que le problème de la transporter jusqu'au four et de la placer dans celui-ci sans la casser... puis de la cuire sans la casser non plus...

Mais rassurez-vous, ô fidèles lecteurs. Tout s'est bien passé lors de la cuisson. Je vous l'illustrerai un de ces jours. Dès que j'aurai retrouvé les photos que j'ai égarées dans les dédales d'un de mes disques...

mardi 18 septembre 2012

Fabriquer un dolium

Un peu de technique pour changer...

Fabriquer un dolium? C'esrt quoi, ce truc?
Un dolium, c'est un grand, parfois un très grand vase destiné à servir de réserve ou de réservoir. On pouvait y mettre de l'eau, bien sûr, mais aussi du vin, de l'huile ou des céréales. Dans certaines régions du sud de la France, le dolium a parfois correspondu à la consommation annuelle de céréales pour une personne. Environ 60 à 100 litres de capacité. Pour les plus grands, souvent des cuves de pinardiers, on a atteint les 10'000 litres. Mais pour des tailles pareilles, ce ne sera pas le sujet du jour. Là, on en reste à une cinquantaine de litres. Un petit modèle, donc, mais un jolie petite aventure.

L'histoire commence lors de la commande d'un gros lot de répliques de céramiques gauloises pour la très médiatisées exposition "les Gaulois, une expo renversante" qui se tient encore à la Cité des Sciences, au Parc de la Villette à Paris. Et dans ce lot figurait justement un dolium gaulois, réplique de l'un d'entre eux découvert à Croixrault, dans le département de la Somme.
Généralement, on commence par un descriptif tel que ci-contre. Un dessin montrant la coupe et l'extérieur du vase, l'échelle et un descriptif de pâte et de couleurs. L'originalité de ce modèle, qui n'est pas une exception dans le monde antique, est l'extrême grossièreté de l'argile utilisée. Si de telles terres étaient fréquemment employées à la fabrication de grandes pièces dans les mondes gaulois ou gallo-romains, le potier d'aujourd'hui est terrifié à l'idée d'utiliser un tel matériau.
Le texte dit "dégraissant chamotte et silice, gros éléments"... Un téléphone au céramologue INRAP qui a participé à la fouille me confirme l'ampleur du problème. Les gros éléments, c'est 6 à 8 mm. Le moins que l'on puisse dire est que cela demande réflexion. Je connais quelque peu ces pâtes pour en avoir vu des tessons. Disons pour simplifier que c'est beaucoup de gravier avec un peu d'argile pour le lier. Tellement de gravier et de tellement gros éléments que parfois des cailloux dépassent des deux côtés ds parois. A l'intérieur et à l'extérieur. Et comme en principe un tel récipient doit au moins à peu près être étanche, il vaut mieux que ces "gros éléments" adhèrent bien à la matrice argileuse. Dans le cas contraire on aura une passoire dans le meilleur des cas, et au pire quelque chose qui au moindre choc va se désagréger et redevenir gravier et poussière d'argile.... le pire est que ce dolium sera transporté par camion à Paris, dans une palette. Donc si il n'est pas assez solide, ça va faire mal!
Après quelques plaquettes d'essais qui se sont montrées encourageantes, je me lance.
D'abord préparer le mélange d'argiles, de chamotte et de silice. Je choisis d'abord une argile siliceuse fortement dégraissée. 40% de chamotte blanche de 0 à 2 mm. Puis je prépare une charge supplémentaire constituée de terre cuite concassée et de quartzite pliée. C'est un matériau que l'on trouve facilement dans les moraines glacières, donc dans presque tous les champs du plateau suisse qui ont autrefois été recouverts par les glaciers.
On concasse, on broie, on tamise et ça donne ceci à gauche. C'est aussi coupant et rugueux que vous pouvez l'imaginer. Mais ces matériaux adhèrent bien à l'argile, et ensuite le retrait au séchage et à la cuisson vont parfaitement les enserrer, à tel point que lorsque l'on rompt une plaquette d'essai, il arrive que la cassure partage un élément de quartz en deux.
Pour la terre cuite, j'ai pris de vieilles tuiles du XIXème siècle moulées à la main. Elles sont constituées d'une terre très sableuse qui convient bien à ce genre d'usage. Et en plus elles sont faciles à concasser. Ensuite, il faut mélanger et pétrir avec l'argile. Détail qui tue; avec des gants de protection, ça ne va vraiment pas bien...
Il vaut donc mieux trouver rapidement la bonne méthode, celle qui permet d'éviter de coincer des morceaux de quartz sous les ongles, et de se déchiqueter les doigts, sinon l'expérience risque de tourner court. Parce que ce mélange, il faut en préparer 20 kg environ, et il faut vraiment bien le pétrir...
Et c'est après seulement que je m'ataque à la construction. Technique de colombin battu, c'est peut-être la seule qui soit raisonnable dans ce cas de figure.
Je prépare de gros colombins de 5 cm. de diamètre environ que je pose et pétris soigneusement afin de les coller au mieux. Puis le les amincis par pincement successifs, et surtout veille à bien recouvrir les joints d'assemblage des colombins. Je travaille sur une grosse tournette, système connu depuis la plus haute antiquité. Cet outil permet pratiquement toutes les opérations de tournage, rectifiage ou modelage de petites ou  de grosses pièces, c'est le tour universel par excellence.
 On voit ici que le mélange d'argile est très maigre et très peu homogène. Il faut absolument y remédier, faute de quoi les porosités, voire les trous dans les parois risquent d'affaiblir la pièce. Le meilleur moyen de remédier à cet inconvénient est de battre la paroi afin de tasser l'argile- Pour ceci, je travaille à la batte, une sorte de grosse spatule de bois, que l'on utilise contre un appui
Comme enclume, je me sers de divers tessons, ici, un gros morceau d'amphore Dressel 20 à huile. C'est sufisamment lourd por bien répondre aux chocs, et la courbure est parfaite à ce niveau de montage.Les chocs successifs vont non seulement amincir les parois, mais aussi contribuer au collage des colombins et à améliorer l'agglomérat des différents éléments. Il ne faut pas ménager ses efforts, il faut des milliers de coups de batte pour un tel récipient.
On prendra un choix de tessons ou d'enclumes diverses à adapter à chaque variation de courbure de la panse. Ici, c'est un morceau de marmite éclatée à la cuisson. Son rayon de courbure plus faible permet facilement d'ajuster l'épaisseur des parois du dolium.
Et petit à petit. à force de coups de batte, les éléments s'intègrent à l'argile et le dolium prend son galbe définitif.
Parfois , de petites corrections à l'estèque sont nécessaires, elles permettent d'ôter les surplus de terre qui forment des bourrelets ou des surépaisseurs indésirables.
Et à la longue, le dolium prend sa forme définitive, les gros éléments s'intègrent à l'argile, les aspérités, irrégularités et autres vacuoles indésirables disparaissent...
Le diamètre atteint ici son maximum, il ne reste plus qu'à monter le haut de la panse et le col...
...ce que je finis à l'intérieur, on orage m'ayant fait déménager en catastrophe...
Un dernier coup d'éponge sur la panse, le col rectifié par tournage et c'est terminé! Le poids du vase additionné à celui de la tournette donne un excellente inertie et rend ce type de tournage de la partie supérieure possible. Je ne dirai toutefois pas qu'il est facile, et les morceaux de quartz ne facilitent pas la chose...
Ce jour-là. il faisait très chaud et très sec. L'idéal pour ce genre de travail, la pièce séchant très rapidement au fur et à mesure du montage. Trois petites heures ont été nécessaires, mais si le temps avait été très humide, il aurait fallu observer de longues pauses entre chaque opération afin d'éviter que la pièce s'effondre sous son propre poids. Ce n'est pas un problème pour un atelier traditionnel. Si le temps est humide on fabrique plusieurs pièces simultanément, jusqu'à 10, voire plus, et en passant de l'une à l'autre, cela leur laisse le temps de sécher calmement.

Peu d'outils sont nécessaires pour de telles fabrications:

Trois tessons, une batte, deux éponges, une estèque et deux galets ont été nécessaires. Les galets sont principalement utilisés pour les corrections en cours de séchage, si des morceaux de quartz dépassent trop de la surface. Il ne s'agit pas de faire un polissage, mais plutôt de gommer des aspérités indésirables.
Et si on avait voulu fabriquer un dolium de 500  litres, nous aurions utilisé les mêmes outils, toutefois un peu plus lourds. le parois un peu plus épaisses requérant des gestes un peu plus énergiques.
La bête après cuisson. Elle a parfaitement résisté à l'épreuve du feu, et elle résistera aussi au transport. Elle a subi une réduction partielle qui est toutefois très peu marquée. Certaines argiles de cette fournée sont devenues grises, mais celle-ci est restée orangée. Aléas de la cuisson au bois...

Prochainement, une autre méthode pour fabriquer les dolia, avec une argile plus fine...